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Revisiter l’histoire de l’art avec l’IA :
Quels dialogues possibles ?

La partie carrée, Les progrès © Justine Van den Driessche

Dans le cadre de ma participation à l'exposition AImagine photographie and generative images au centre d'art photographique Hangar, cet article propose une réflexion sur l’usage de l’intelligence artificielle dans l’art, en particulier en ce qui concerne sa capacité à réinterroger le patrimoine artistique. Cette approche s’inscrit dans la proposition de l'exposition, qui a invité les photographes à explorer les intersections entre photographie et intelligence artificielle, en écho à des références historiques ou à des récits marquants de l'histoire de la photographie.

 

L’IA, un pont entre tradition et innovation

 

L’histoire de l’art est jalonnée de révolutions esthétiques, techniques et conceptuelles. À chaque époque, les artistes ont trouvé de nouvelles façons de dialoguer avec leurs prédécesseurs, de réinventer des mythes ou d’y faire écho. Aujourd’hui, l’intelligence artificielle s’impose comme un nouvel acteur dans ce dialogue. Quels sont les possibles interactions entre les œuvres du patrimoine et cette technologie émergente ? Comment pouvons-nous avec ces nouveaux outils réinventer les formes, bousculer les conventions, et initier des dialogues entre le passé et le présent ?

 

L’IA permet une exploration des codes esthétiques hérités du passé, en intégrant des références historiques dans des créations nouvelles. Par exemple, les algorithmes de deep learning peuvent analyser des milliers de peintures d’une période donnée, en extraire des motifs récurrents, et les reconfigurer pour produire des images inédites. Ce processus invite à réfléchir à ce que signifie “s’inspirer” ou “réinterpréter” une œuvre dans un contexte où le geste artistique est partiellement remplacé par une machine. Pour les artistes, elle devient un outil collaboratif, non pour imiter les maîtres anciens, mais pour activer de nouvelles lectures. Mes premières exploration sous cette angle ont donné naissance à ma série Les progrès, où les références aux peintures

de Watteau, Boucher ou Fragonard, ne sont pas de simples citations. Elles sont réinterprétées par l’IA, créant une tension entre le familier et l’étrangeté des anachronismes. Ces images hybrides soulignent une malléabilité des codes hérités de la peinture sous le prisme de la technologie.

 

Le passé reconfiguré : hommage ou rupture ?

L’IA ne se limite pas à un rôle d’assistant technique. Elle peut devenir un outil critique, capable de révéler des biais historiques ou de questionner nos mythologies artistiques. Un portrait généré avec une IA peut, par exemple, juxtaposer des styles en références à différentes époques et inventer de nouvelles esthétiques. Les accidents algorithmiques, tels qu’un visage déformé ou une texture incohérente, évoquent ces hasards heureux qui jalonnent l’histoire de l’art. Pline l’ancien relatait déjà comment l’éclaboussure d’une éponge sur une toile pouvait de façon inattendue, combler la quête d’un peintre qui peinait à représenter l’écume sortant du museau d’un cheval. Ces imperfections tout en résultant de la machine révèlent quelque chose de profondément humain. Par ailleurs en confrontant des périodes ou des cultures, l’IA bouleverse notre perception de la continuité artistique. Cela soulève des questions ethiques : jusqu’où peut-on aller dans la relecture du patrimoine ? Une œuvre générée par IA est-elle un hommage, un plagiat ou une rupture radicale ?

L’IA invite à repenser la mémoire visuelle comme un processus actif et en constante évolution. Les références historiques, réinterprétées par des algorithmes peuvent devenir des miroirs de nos préoccupations contemporaines. Les œuvres génératives offrent aussi une expérience singulière  au spectateur : celle d’un patrimoine pouvant être réinterprété à l’infini. Face à une image qui emprunte aux maîtres de l’histoire de l’art tout en y intégrant des éléments disruptifs, le regardeur est invité à repenser ses repères esthétiques. Ce processus de réactualisation donne un nouveau statut aux œuvres du passé, les transformant en sources mouvantes, capables de s’adapter aux enjeux du présent. Loin d’être figées, les œuvres de l’histoire de l’art sont en constante résonance avec le monde contemporain. En explorant les frontières entre hommage, reproduction et rupture, l’IA ne se contente pas de reconfigurer le passé : elle réactive notre mémoire visuelle en la transformant en un nouveau processus. Cette dynamique offre une nouvelle lecture du patrimoine, non figée, et sujet à de nouvelles interprétations.

 

Exploration de l’IA entre innovation et continuité

 

Revisiter l’histoire de l’art avec l’IA, c’est dialoguer avec notre héritage culturel tout en explorant des futurs possibles. L’IA devient alors une invitation à élargir les horizons de la création, à multiplier les perspectives, et à imaginer des dialogues nouveaux entre l’art, le temps et la technologie.

En tant qu’artiste, je vois dans ces expérimentations une manière de dépasser les frontières traditionnelles de la création, tout en rendant hommage à ceux qui ont façonné notre imaginaire visuel. Finalement, revisiter l’histoire de l’art avec l’IA, c’est poser une question centrale : sommes-nous dans une nouvelle révolution artistique ou dans une continuité logique ? Les dialogues entre tradition et innovation, entre main humaine et machine, ne sont-ils pas le prolongement des interactions qui ont toujours marqué l’histoire de l’art ?

L’intelligence artificielle, en tant que médium, ne se contente pas d’imiter : elle propose des recompositions, des hybridations, des fractures. Ces pratiques ouvrent la voie à une réécriture constante de nos héritages, et réaffirment que l’histoire de l’art est un palimpseste où chaque époque laisse son empreinte.

 

Voir la série Les progrès

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